Tu marches au bord du monde, Roman

Alexandra Badea

Équateurs

  • Conseillé par
    25 février 2021

    "Tu marches au bord du monde" est un roman frustrant, contant l'histoire d'une jeune femme qui traverse sa vie sans la vivre, d'un endroit à un autre, d'une romance à une autre. Elle narre de l'histoire de quelqu'un qui fuit ses démons mais se jette constamment dans leurs bras.

    J'ai aimé la richesse initiale de ce personnage : une jeune femme évoluant dans la Roumanie post-soviétique, un personnage sans point de repère familial ou social stable mais instruite, qui rompt avec son quotidien, non par choix, mais pour fuir le gouffre dans lequel elle s'abîmait.

    Pourtant, j'ai été mal à l'aise quasiment jusqu'à la fin. C'est un personnage qui cherche à vivre par elle-même, qui en a souvent l'opportunité, mais qui, à chaque fois, décide de dépendre des hommes qu'elle rencontre. Elle s'abandonne totalement en ces rencontres et ces quelqu'un vont systématiquement lui imposer le cours de leur relation. Ce n'est jamais violent mais toujours toxique.
    Il n'y a pas de quête de la sexualité, comme le dit la quatrième de couverture. J'ai trouvé que la sexualité figurait plus comme un témoin de l'histoire qu'elle vit que comme l'objet d'une recherche. Elle a un rapport au corps, au sexe, comme un instrument social (le même point de vue que sa mère, autre grande thématique du roman), et conserve ce rapport au corps, jusqu'à la fin.

    Parmi les personnages secondaires, le psychologue m'a beaucoup intéressé. Il est une étape libératrice pour elle. Avec lui, elle arrive à se livrer, à cracher ce sentiment de révolte contre le conditionnement social et intellectuel qu'on lui impose : son histoire, son origine géographique, son origine sociale, l'appartenance à une communauté. La prostituée qu'elle rencontre une fois est aussi une des personnes que j'ai trouvé importante : elle est un miroir de la narratrice, sans sa chance, et lui livre une version de ce que sa propre vie pourrait être.

    C'est un long voyage initiatique, durant lequel chaque étape la renvoie à ses débuts, à ses troubles, aux fantômes de son passé. Elle guérit peu à peu ses blessures : son père, sa mère aux termes de longues pages, et seulement aux derniers moments du livre, sa dépendance à autrui. Elle finit par ne plus obéir aux injonctions et au conditionnement construits par la société paternaliste d'où elle vient.

    En tant que lecteur, ce roman m'a interrogé aussi. Ma vision de l'indépendance était-elle erronée ? Penser qu'un personnage féminin se devait d'être libre et fort pour être le personnage idéal d'une quête de la féminité et de la maîtrise de sa vie, est-ce une vision tout aussi patriarcale que de ne pas y penser ? Bref, intéressant mais pas facile.

    Pour finir, je trouve ça très beau qu'Alexandra Badea ait choisi d'écrire en Français, alors que son personnage ne vit pas une vie rose en France : complications administratives, arrogance de la bourgeoisie parisienne et fréquentation de toute une misère masquée, et à la seconde personne. Pas si dérangeante, on s'y adapte vite et ça donne une perspective de journal intime.